LA PSYCHIATRIE LÉGALE

À la frontière de la justice et des soins de santé

Définition

Rédigé par Magali Valence, ASRSQ

Je vais vous raconter l’histoire d’un jeune homme souffrant d’un problème de santé mentale, il est schizophrène paranoïaque. Avec une médication, qui lui assure tout de même une certaine stabilité mais qui l’hypothèque considérablement, il réussit à mener une vie paisible et sans remous où chaque journée représente un nouveau défi. Un jour, un événement inattendu se produit, apportant avec lui plusieurs facteurs de stress qui tendent à déstabiliser le jeune homme. Cette fameuse stabilité mentale et émotionnelle, acquise au prix de nombreux efforts, s’effrite peu à peu comme si la maladie tentait de regagner le dessus, mais il lutte pour l’en empêcher.

Pourtant, un jour, il perd le contact avec la réalité et commet un acte irréparable contre un membre de sa famille.
Mais une fois l’acte commis, qui faudra-il blâmer pour ce meurtre : la maladie ou l’individu ? Ce dernier a-t-il besoin d’aller dans un hôpital pour y recevoir des soins psychiatriques afin de le stabiliser à nouveau ou doit-il être envoyé vers le milieu carcéral parce que son geste mérite une punition égale aux autres ? Vous avez un besoin d’un temps de réflexion ? Eh bien, cet amalgame de problématiques qui relie la santé mentale et la criminalité, voici ce qu’est la psychiatrie légale.

Des définitions floues

Tout d’abord, définir avec précision ce qu’est la psychiatrie légale et ce qu’elle comporte relève du domaine de l’impossible. Il subsiste toujours un certain flou autour de ce point de rencontre entre la santé mentale et la criminalité. Plusieurs intervenants du milieu tentent de définir la psychiatrie légale, mais l’on constate rapidement que la définition varie selon le paramètre avec lequel le sujet est abordé. Ainsi, certains vous diront qu’il s’agit d’une organisation de services pour une clientèle présentant un profil double, soit un état mental perturbé qui l’a amenée à commettre un acte délictueux. D’autres soutiendront qu’il s’agit uniquement d’un type de clientèle qui présente un profil similaire tandis que certains vous diront plutôt qu’elle se définit à l’aide du statut légal des personnes impliquées. Bref, malgré le fait que le concept de psychiatrie légale semble difficile à cloîtrer dans une définition statique, l’aspect essentiel à retenir demeure toutefois la croisée des chemins entre le monde de la santé mentale et de la délinquance.

Si le concept de psychiatrie légale demeure quelque peu vague, sa clientèle l’est tout autant. Abondant en ce sens à propos de la clientèle que l’on inclut sous le giron de la psychiatrie légale, M. Pierre Gendron, responsable des services externes de l’Institut Philippe-Pinel, hôpital psychiatrique spécialisé en psychiatrie légale, soutient que : « cette clientèle est très difficile à définir, car il y a un grand flou qui l’entoure et qu’il n’y rien d’établi pour elle ».

« L’étiquette de santé mentale est déjà dure à porter, quand on ajoute la judiciarisation, c’est encore pire ! Ce sont les exclus des exclus. Non seulement t’es fous, mais en plus t’es dangereux ! »

La complexité à définir ces éléments provient des multiples problématiques que cette clientèle présente. En effet, l’ensemble des intervenants rencontrés pour ce dossier ont mentionné que la plupart de leurs clients sont aux prises avec des troubles de santé mentale, de délinquance (judiciarisation), de toxicomanie, d’instabilité résidentielle incluant l’itinérance, parfois combinés à un problème de santé physique, etc. Ces personnes se retrouvent dans bien des sphères d’intervention et dans aucune à la fois, comme le souligne Benoît Côté, de l’organisme Programme d’encadrement clinique et d’hébergement (PECH) : « Tout est compartimenté et quand on arrive avec quelqu’un qui a des problèmes multiples, on dirait que ce n’est plus un individu à part entière. On lui dit “toxico c’est la porte 1, pour la santé mentale, porte 3, etc.”. Ça ne marche tout simplement pas comme cela » Puisque les secteurs d’intervention sont segmentés de cette façon, ces clients de la psychiatrie légale se retrouvent dans diverses catégories, ce qui rend plus difficile la tâche de les rassembler sous un même chapeau.
Afin de mieux comprendre cette clientèle qui semble, plus souvent qu’à son tour, tomber dans les failles du système, nous parlerons donc non pas de la clientèle de psychiatrie légale, mais des personnes qui la composent, de leur réalité, de leur passé et de leurs besoins.

Le grand prix de l’exclusion

Quel genre de vie peuvent bien mener des personnes dont les autres ont peur et, par conséquent, que personne ne veut nulle part ? La réponse n’a rien de surprenant, ce sont généralement des personnes isolées, pauvres et socialement exclues. Benoît Côté de PECH image bien leur situation en expliquant : « l’étiquette de la santé mentale est déjà dure à porter, quand on ajoute la judiciarisation, c’est encore pire ! Ce sont les exclus des exclus. Non seulement t’es fou, mais en plus t’es dangereux ! »

Bien malgré eux, ces individus sont donc souvent les grands lauréats du prix de l’exclusion. Ils sont rejetés par les gens de leur quartier parce qu’ils sont souvent marginaux. Ils sont fréquemment arrêtés parce qu’ils dérangent la voie publique. S’ils sont envoyés en prison, même les détenus les excluent ou les exploitent, leur attribuant les expressions consacrées de « casque de bain » ou de « soucoupe »sont plutôt dirigés vers les hôpitaux généraux, ils ne sont pas les bienvenus, puisque le personnel en a peur. C’est donc une clientèle qui ne trouve sa place nulle part, à l’exception des organisations spécialisées ou adaptées pour ces types de clients.

Ces personnes n’ont généralement plus de contact avec leur famille lors de leur entrée dans le système judiciaire ou dans le système de santé. Les familles ont déserté le navire pour plusieurs raisons valables, telles que l’épuisement, la souffrance causée par un enfant malade, la survie de la famille, etc. Si la personne s’en est déjà pris physiquement à ses parents, à son petit frère ou sa petite soeur, la famille prend le plus souvent certaines distances. Ainsi, sans contact avec leur famille, sans conjoint et sans enfants (à tout le moins dont ils ont toujours la garde), ces personnes se retrouvent dénuées de tout lien social. Cet isolement signifie inévitablement plusieurs deuils à vivre pour la personne souffrante.

Se départir des personnes qui l’entouraientet faire le deuil de sa relation avec sa famille sont extrêmement souffrant pour la personne malade. Malheureusement, ce ne sont pas les seuls deuils qu’elles auront à vivre au cours de leur vie. Elles doivent également accepter leur maladie, particulièrement si elle s’est déclarée au début de la vingtaine, et faire le deuil de leur santé mentale… car celle-ci ne reviendra plus. Elles doivent aussi renoncer à plusieurs rêves de jeunesse (tout dépendant des limites de chacun), comme celui de partager leur vie avec quelqu’un, de fonder une famille, d’avoir une carrière intéressante, etc. « Le malade a autant de désirs et de rêves que n’importe qui. C’est un chemin très difficile et c’est extrêmement souffrant la vie de nos clients », commente Pierre Gendron.

Si ces personnes connaissent la pauvreté sociale, ce n’est cependant pas la seule pauvreté rencontrée par cette clientèle. La misère économique fait également partie de leur lot. Ayant des perspectives d’emploi plutôt limitées, plusieurs sont incapables de travailler, parce que leur médication les hypothèque de manière assez importante pour qu’elles aient de la difficulté à se lever le matin et à fournir un effort continu sur une longue période. Lorsqu’elles sont déclarées inaptes au travail, leurs revenus demeurent plutôt restreints, voire médiocres, et reposent essentiellement sur les programmes gouvernementaux, tels que l’assistance-emploi (aide sociale) ou que d’autres programmes auxquels pourraient correspondre certaines personnes. Évidemment, les montants reçus couvrent généralement les dépenses minimales, sans plus.

Une vie merde !

Les personnes atteintes d’un problème de santé mentale ont généralement vécu une vie difficile. Dès leur plus jeune âge, plusieurs ont été battus, exploités et finalement rejetés par leur milieu de vie. Une quantité phénoménale de jeunes femmes ont subi des abus sexuels, et ce, parfois depuis un très jeune âge. Du côté des hommes, ces derniers sont souvent victimes d’abus sexuels quoique la situation demeure plus cachée. Toutefois, une même constante demeure autant chez les hommes que chez les femmes : ces individus ont des parcours de vie parsemés d’événements traumatisants. Toutefois, les événements perturbants qui se sont produits au cours de leur vie, s’ils sont parfois provoqués par autrui (abus sexuels, violence, exploitation, etc.), peuvent aussi être causés par la personne malade elle-même. Afin d’expliquer ce phénomène, le directeur général de l’ASRSQ, Patrick Altimas, cite l’exemple suivant : « Tuer son père est ce qu’on appelle une expérience traumatisante qui peut laisser certaines séquelles ! »

Suite à l’identification d’un passé trouble et difficile, qui semble relativement commun à plusieurs clients de la psychiatrie légale, nous nous sommes questionnés à savoir s’il y avait une corrélation à établir entre le contexte social dans lequel ces personnes ont évolué et leur maladie mentale. Ainsi, est-ce que le vécu psychosocial de la personne peut faire basculer sa santé mentale ? Malgré une certaine similarité au niveau du parcours de vie, l’ensemble des intervenants questionnés nous ont spécifié qu’il n’existait aucun lien direct entre les deux variables. Puisqu’il s’agit d’une question très complexe, plusieurs aspects de la vie d’une personne devraient être étudiés en profondeur, afin de découvrir une corrélation. À ce sujet, Pierre Gendron, de l’Institut Philippe-Pinel, apporte un point de vue des plus intéressant : « Tout le monde a son propre point de rupture. Cependant, on ne peut jamais vraiment connaître l’impact possible du contexte social, car on ne peut pas avoir de coups d’essais et vivre autre chose que ce que l’on a vécu »Ainsi, si aucune corrélation précise n’a été faite, le modèle d’intervention utilisé auprès de cette clientèle est le modèle psychosocial. Son approche prend en compte trois variables à la fois, soit la maladie, les aptitudes sociales et l’environnement dans lequel la personne évolue.

Des personnes qui font peur

Cette clientèle effraie la population et le personnel des hôpitaux généraux, les policiers s’en méfient… Bref, elle dérange. Souvent perçue comme une clientèle plus dangereuse que la clientèle délinquante sans problématique de santé mentale ou dite « régulière », elle est victime de plusieurs préjugés qui la rendent menaçante et imprévisible. « C’est un tabou ! Il n’y a pas de lien entre santé mentale et dangerosité. La personne qui a un problème de santé mentale qui prend sa médication et obtient un suivi thérapeutique ne représente pas plus de danger que le citoyen normal », affirme Bibiane Dutil, de l’hôpital de jour de Louis-H. Lafontaine. Même son de cloche du côté de l’organisme PECH, Benoît Côté ajoute : « Je sais qu’il y a des facteurs qui peuvent accentuer le risque de violence, mais je n’ai rien vu qui dit que la santé mentale augmente ce risque. En douze ans d’intervention à PECH, il n’y a eu aucune agression sur le personnel. »

Contrairement aux préjugés que l’on entend, les intervenants travaillant auprès des personnes judiciarisées présentant une problématique de santé mentale confirment qu’il ne s’agit pas d’une clientèle plus dangereuse que celle dite « régulière »Patrick Altimas, qui a travaillé durant douze ans à la maison l’Intervalle, une maison de transition accueillant des personnes souffrant d’une maladie mentale, explique : « la clientèle n’est pas plus lourde que les autres clientèles délinquantes, leurs besoins sont différents. Cette clientèle demande plus d’attention de la part des intervenants, elle a besoin d’être près d’eux, de leur parler, etc. Les liens affectifs entre les intervenants et les clients se créent beaucoup plus facilement. Le côté manipulateur que l’on retrouve chez les délinquants sans problématique de santé mentale est quasi inexistant chez cette clientèle. »

Du côté du CCC Martineau, le directeur général du CCC Réal Racicot, abonde dans le même sens en affirmant qu’il s’agit d’une clientèle qui est moins difficile, car « les clients en santé mentale sont plus dociles, collaborateurs et polis »Une ancienne intervenante psychosociale au CCC Martineau, Caroline Labonté, explique : « Ils sont plus faciles à modeler et à mettre comme on le voudrait. » Ainsi, les clients ne cherchent pas de façon systématique à contourner les règles du système établi, on est plutôt dans le domaine de la maladie et non de la délinquance.

Pour que la réhabilitation soit possible

Tout d’abord, les besoins de cette clientèle sont nombreux, mais certains sont relativement simples à combler. Selon les termes du milieu, ces personnes nécessitent un suivi médical et psychosocial. Concrètement, cette clientèle a besoin d’un traitement adéquat et d’un suivi médical efficace. Au-delà de la médication et du traitement de la maladie, ces personnes ont des besoins bien normaux, comme celui d’être aimé, valorisé, de se sentir utile, de se sentir entouré, etc. Rien de bien sorcier… mais plutôt de bien humain !

Dans un deuxième temps, briser la stigmatisation qui entoure la problématique de santé mentale et anéantir les préjugés qui en découlent seraient certainement bénéfiques pour les personnes qui tentent de se réhabiliter et de vivre une vie qui se rapproche le plus près possible de la «normalité»

Finalement, des initiatives de nos dirigeants pourraient faciliter la réadaptation des délinquants qui ont des problèmes de santé mentale, car pour le moment il y a un manque d’outils en place. Gendron précise cependant qu’il y existe de très bonnes ressources actuellement. Cependant, en matière de services, il y a plusieurs manques. « Il y a d’abord l’hébergement. Il y a des choses qui existent, mais ce n’est pas assez. On a besoin de plus de familles d’accueil, d’appartements supervisés… Également, à l’extérieur de Montréal et de Québec, il est difficile d’obtenir des services. » Il déplore aussi qu’il n’y ait pas de lieux pour parler des problématiques liées à la psychiatrie légale. « Chez nos dirigeants, la psychiatrie légale existe seulement lorsqu’il y a une crise ! »

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